Conducts research and collects data on the global history of labour, workers, and labour relations

Le Néo-malthusianisme en France

L'Exposition

Cette exposition virtuelle sur le néo-malthusianisme français – le mouvement pour le contrôle des naissances en France – est dédiée à l’oeuvre de ses pionniers, les anarchistes Paul Robin et, notamment, Eugène et Jeanne Humbert, dont le fonds se trouve à l’Institut international d’Histoire sociale.
Les idées de partisans ainsi que d’adversaires du contrôle des naissances sont présentées à travers des reproductions de catalogues de préservatifs, journaux, lettres, brochures, extraits de livres et coupures de presse. Les brochures, dont certains sont très rares et fragiles, sont reproduits en entier et peuvent se lire en ligne.

Le Néo-malthusianisme

Pasteur, économiste libéral, Malthus avait proposé de lutter contre la misère en supprimant les aides aux pauvres et en les encourageant à limiter leur fécondité par des mariages tardifs.
Très vite, des radicaux anglais et américains déformèrent sa pensée en préconisant le développement de la contraception. Cette évolution aboutit, à la fin du XIXe siècle, à la création, dans plusieurs pays, d'organisations militantes, dites néo-malthusiennes, qui s'employèrent à vulgariser la connaissance et l'usage des procédés contraceptifs.


La création d'un tel mouvement, en France en 1896, est due à Paul Robin. Paul Robin (1837-1912), avait un long passé de militant révolutionnaire : il avait été lié à Bakounine et à Marx et avait siégé au conseil de la Première Internationale. Il était également célèbre suite aux scandales provoqués par ses essais d'éducation libertaire dans le premier internat mixte en France : l'orphelinat de Cempuis.
Paul Robin et ses disciples donnèrent au néo-malthusianisme français une orientation radicalement révolutionnaire. Deux slogans résument la base théorique de ce mouvement : "Assez de chair à plaisir ! de chair à travail ! de chair à canon !" - qui exhortait les prolétaires à cesser de fournir à la bourgeoisie des prostituées, des ouvriers et des soldats - et "Grève des ventres" qui adressait le même message en direction des femmes.

Jusqu'en 1914, ce mouvement se développa rapidement et fortement. Pourchassé, réprimé au nom de la lutte contre la pornographie, il bénéficiait néanmoins de nombreux appuis : écrivains, artistes, chansonniers, grandes figures du féminisme radical telles que Gabrielle Petit, Nelly Roussel et Madeleine Pelletier..., socialistes, anarchistes, syndicalistes (bien que les marxistes dénonçaient vigoureusement l'origine réactionnaire du malthusianisme). Beaucoup des documents réunis dans cette exposition témoignent de l’importance de ces relations.

En 1920, au lendemain de l'hécatombe de la première Guerre mondiale, les natalistes, très puissants en France où la natalité baissait depuis la fin du XVIIIe siècle, obtinrent le vote d'une loi interdisant la propagande néo-malthusienne et la divulgation des procédés contraceptifs et abortifs. En dépit des condamnations qu'ils subissaient, les néo-malthusiens français, autour d'Eugène Humbert (collaborateur de Robin depuis 1902) et de son épouse Jeanne, poursuivirent leur propagande jusqu'à la seconde Guerre mondiale. La politique répressive atteignit son apogée avec la loi de février 1942 qui rendait l'avortement passible de la peine de mort, et l'exécution d'une avorteuse le 30 juillet 1943. Madeleine Pelletier, accusée d’avoir provoqué des avortements, meurt en hôpital psychiatrique.

Eugène Humbert est tué en 1944 lors du bombardement de la prison d’Amiens où il était incarcéré. Après la mort d'Eugène, Jeanne continua de lutter pour les idées auxquelles ils avaient consacré leur vie. Elle publia de nombreux articles dans la presse révolutionnaire, des brochures, des livres et, aussi longtemps qu'elle le put, un journal : La Grande Réforme (continuation du journal fondé et dirigé par Eugène).

A partir de 1956, l'action en faveur de la liberté de la contraception fut développée en France par le Mouvement Français pour le Planning Familial. Ce mouvement adopta les principes de Margaret Sanger, ancienne militante néo-malthusienne américaine qui, à partir de 1915, avait abandonné les références à Malthus et à la révolution, pour développer le birth control, uniquement soucieux du bonheur des familles, des femmes et des enfants.

La majorité des documents réunis pour cette exposition provient des archives qu'Eugène, et surtout Jeanne, Humbert avaient rassemblées tout au long de leurs vies. Irremplaçables pour ce qui est de l'histoire du néo-malthusianisme, elles éclairent aussi bien d'autres manifestations de plus d'un demi-siècle de contestation sociale.
 

Post-scriptum

Jeanne Humbert avait régulièrement évoqué devant moi le sort futur de ses archives. On l'avait contactée, d'ici et de là, pour lui demander un legs. Untel lui avait conseillé de les verser à la Bibliothèque nationale de France, et Devaldès, en Angleterre, où l'on vole moins qu'en France... Je faisais systématiquement dévier ces conversations, car elle avait - à mon avis, mais pas au sien - atteint depuis longtemps l'âge à partir duquel parler de la mort devient un sujet délicat. Pourtant, Jeanne Humbert est morte en 1986. Puis, sa fille, Claude Villon (Lucette Humbert), m'a appris qu'elle m'avait confié l'avenir de ses papiers.
Entassés, en vrac, dans des cartons de téléviseurs, ces documents sont restés chez moi plusieurs années avant de trouver leur place au sein des collections de l'IIHS d'Amsterdam.

(texte: Francis Ronsin)

Littérature:
Roger-Henri Guerrand et Francis Ronsin, Le sexe apprivoisée: Jeanne Humbert et la lutte pour le contrôle des naissances, Paris: La Découverte, 1990 (réédité en 2001, comme Jeanne Humbert et la lutte pour le contrôle des naissances, par Spartacus.) Pour une introduction substantielle à l’histoire du néo-malthusianisme français, voir la présentation du fonds Humbert.

A propos de l’exposition
Ces pages constituent la deuxième partie d’une exposition virtuelle sur l’histoire du mouvement pour le contrôle des naissances aux Pays-Bas et en France. Elle provient d’une exposition hollando-française qui se tint à l’Institut d’Amsterdam en 1995 pour marquer le transfert du fonds de Jeanne et Eugène Humbert, anarchistes, pacifistes et néo-malthusiens. Cette exposition fut créée, en coopération avec Huub Sanders (IIHS), par Hugo Röling, l’auteur de De tragedie van het geslachtsleven: Dr. J. Rutgers (1850-1924) en de Nieuw Malthusiaansche bond (1987), et Francis Ronsin, l’auteur de La Grève des ventres: propagande néomalthusienne et baisse de la natalité en France 19e-20e siècles (1980) et co-auteur de Le Sexe apprivoisé: Jeanne Humbert et la lutte pour le contrôle des naissances (1990). Pour la partie néerlandaise, voir www.iisg.nl/exhibitions/neomalthusianism.

Tous les objets reproduits proviennent du fonds Eugène Humbert / Henriette Jeanne Humbert-Rigaudin à l’IIHS. Les textes d’introduction aux sections ont paru tout d’abord dans Le Néo-malthusianisme en France et aux Pays-Bas: catalogue d'exposition par Hugo Röling et Francis Ronsin (Amsterdam 1995; IIHS signature PUB 110).