Conducts research and collects data on the global history of labour, workers, and labour relations

Institut International d'Histoire Sociale

Histoire et Activités

KeizersgrachtBien que le mouvement ouvrier ait une histoire très riche, son héritage littéraire et documentaire est peu conséquent, autant dans les bibliothèques que dans les services d'archives, même dans les pays les plus riches. En effet, de nombreux documents furent pillés lors de guerres et de vagues de répression. De plus, certains furent tout simplement ignorés des militants qui préféraient "faire l'histoire" plutôt que de la constituer au moyen de documents. Malgré tout, on trouve aujourd'hui, un peu partout dans le monde, des centres de documentation consacrés aux mouvements ouvriers qui secouèrent le monde dans le courant du XIXème siècle et au début du XXème siècle.

La plupart du temps, ces centres de documentation (bibliothèques et services d'archives) sont issus de partis politiques, eux-mêmes initiateurs des mouvements sociaux. Prenons l'exemple d'August Babel, activiste dans le Parti Socialiste Allemand, et qui dès 1882, s'attacha à constituer les archives de son propre parti. La Scandinavie offre quant à elle d'autres exemples probants. Ainsi à Stockholm, Copenhague, Helsinki et Oslo, entre 1902 et 1909, activistes socialistes et syndicalistes formèrent-ils des services d'archives. On peut alors les considérer comme les précurseurs du genre.

Néanmoins, les centres de documentation spécialisés dans les mouvements sociaux ne naquirent pas tous de partis politiques. A Paris par exemple, et dès 1894, le Comte de Chambrun fonda son Musée Social qui devint rapidement un véritable Institut de recherches. A Zurich, le Schweizerisches Sozialarchiv résulta, en 1906, des activités d'un pasteur protestant dénommé Paul Pflueger. Il fut, semble-t-il très marqué par sa visite au Musée Social de Paris, à l'occasion de l'exposition universelle de 1900. De plus, les fondateurs du Bureau Central de Conseil Sociaux (1899) que l'on peut considérer comme le premier dépôt néerlandais d'archives ouvrières, ne furent autre que des libéraux. Citons également la création, en 1895, à l'instigation de Sidney et Beatrice Webb de la London School of Economics. A cela s'ajoute l'apparition des Wirtschaftsarchive (Centres d'archives économiques) en Allemagne et en Suisse, respectivement en 1906 et 1910.

Tous ces exemples sont à la fois l'expression et le moteur de la prise de conscience de l'histoire socio-économique que l'on rencontre un peu partout dans le monde à l'aube du XXème siècle. Cette situation inspira sans nul doute le professeur Nicolaas W. Posthumus lorsqu'il créa, en 1914, les Archives d'Histoire Economique des Pays-Bas (Netherlands Economic History Archives, NEHA). Il commença alors à rassembler des documents provenant de syndicats, d'organisations, d'entreprises ainsi que toutes autres sources ayant trait à l'histoire économique des Pays-Bas. Parallèlement, il s'attacha à rassembler les archives de particuliers et d'organisations proches des mouvements ouvriers néerlandais.

Au sortir de la Grande Guerre, trois centres de documentation, actuellement de renommée internationale, virent le jour. Il s'agit de la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine de Nanterre, oeuvre d'un couple d'industriels parisiens, les Leblanc, dès 1914 ; de la Hoover Institution on War, Revolution and Peace, située à Stanford et créée en 1919 par le futur président américain, ainsi que de l'Institut Marx-Engels de Moscou, qui, dès 1921, sous l'égide de David Ryazanov, commença à collectionner de façon systématique les documents ayant trait à l'histoire du mouvement socialiste. Ni la BDIC ni l'Institution Hoover n'avaient pour mission de départ de faire un travail comparable a celui des Soviétiques, mais la réalité des conflits du monde moderne les a naturellement menés dans cette voie. A eux trois, ces Instituts ont permis la conservation d'une très grande partie de l'histoire ouvrière des XIXème et XXème siècles.

Ses débuts

C'est dans ce contexte qu'apparaît, le 25 novembre 1935, à Amsterdam, l'Institut International d'Histoire Sociale (IIHS). En réalité, l'augmentation croissante des fonds d'archives socio-historiques au Netherlands Economic History Archives rendait nécessaire la création d'un second service, dédié aux mouvements sociaux. En outre, la situation politique de l'Europe, où certains pays se retrouvaient sous l'emprise de régimes autoritaires, rendait urgente l'organisation d'une opération de sauvetage des documents susceptibles d'être confisqués voire détruits par ces régimes. Les Pays-Bas, alors neutres, semblaient les mieux placés pour mettre en oeuvre cette initiative.

Avec l'aide financière de la "Centrale", une compagnie d'assurances issue du milieu social-démocrate néerlandais, de son directeur Nehemia de Lieme,  ainsi que la municipalité d'Amsterdam qui fournit le bâtiment, Nicolaas Wilhelmus Posthumus fonda une Institution capable d'accueillir ce genre de documents.

Entre 1935 et 1940, la priorité était de sauver le plus de documents possible en Europe. Ainsi, jusqu'au début de la seconde guerre mondiale, l'IIHS réussit-il à extirper d'Allemagne, d'Autriche, d'Espagne, d'Italie et d'ailleurs, et ce dans des conditions souvent difficiles, des archives et des ouvrages menacés par le nazisme, le fascisme ou le stalinisme. S'y ajoutèrent des collections de documents privés d'émigrés italiens, espagnols, russes ou autres qui furent parfois déposées à la filiale parisienne de l'IIHS, ouverte en 1936.

La succursale française, alors installée rue Michelet à Paris, était présidée par Alexandre-Marie Desrousseaux (plus connu sous le nom d'Alexandre Bracke), député socialiste du Nord et vice-président de l'Assemblée Nationale. Son directeur était Boris Nicolaievski et son secrétaire général, Boris Souvarine. Le risque était bien réel pour ces documents dits sensibles, comme en atteste le vol à Paris, en 1936, d'une partie des archives de Trotsky, probablement sur ordre des services soviétiques.

Il serait inutile de dresser la liste de toutes les acquisitions de l'époque. On peut cependant en évoquer certaines. Tout d'abord, on doit beaucoup à Annie Adama van Scheltema-Kleefstra, première bibliothécaire de l'IIHS, qui joua un rôle fondamental dans le sauvetage de nombre de ces documents. Sa ténacité et son courage permirent, par exemple la sortie en fraude du territoire autrichien, de manuscrits de Bakounine, juste avant que les nazis marchent sur Vienne en mars 1938. A la même époque, des ouvrages et des fonds d'archives provenant des mencheviks et des sociaux-révolutionnaires ayant fui la Russie furent également déposés à Amsterdam. Les archives du CNT (Confederación Nacional del Trabajo) et du FAI (Federación Anarqusita Ibérica), quant à elles furent apportés à la filière parisienne de l'IIHS en mai 1939, quelques semaines seulement avant que Franco soumette les dernière régions républicaines du nord de l'Espagne.

La guerre et la reconstruction

En 1938, la direction de l'IIHS ayant compris que la guerre était imminente et qu'elle n'épargnerait pas les Pays-Bas, elle transporta en Angleterre les fonds d'archives et les ouvrages les plus sensibles. Ils échappèrent ainsi aux dangers de la guerre et de l'occupation. La suite des évènements donna raison à Posthumus puisque le 15 juillet 1940, l'IIHS fut fermé par les Nazis et le personnel renvoyé. Outre une bibliothèque de près de 300 000 ouvrages, un grand nombre de documents restaient à l'Institut amstellodamois, notamment ceux du S.D.A.P. (Social-Democratic Labour Party). La bureaucratie allemande étaie alors divisée sur le sort à donner à ces documents. Une partie fut envoyée en Allemagne et l'autre dispersée dans les pays de l'Est. La filiale parisienne de l'IIHS connut, elle aussi, le même sort en 1940. Les documents volés furent alors emmenés en Allemagne et une partie d'entre eux fut remise à l'Institut Marx-Engels de Moscou. Peu d'entre eux furent restitués.

En revanche, la plupart des documents de l'Institut amstellodamois furent retrouvés en 1946, non loin de Hanovre, dans la zone anglaise de l'Allemagne occupée. Les autres documents furent redonnés à l'IIHS grâce aux efforts de l'armée américaine. Les documents qui se trouvaient en Europe de l'Est ne furent pas restitués tout de suite. Les dossiers de la S.D.A.P. par exemple furent redonnés par la Pologne entre 1956 et 1957. Une autre partie des collections en revanche fut saisie, en Europe de l'Est, par la police politique soviétique qui la transféra à Moscou, dans un endroit tenu secret jusqu'en 1991. Quelques-uns uns de ces documents furent récupérés par l'IIHS il y a peu de temps, après une longue série de tractations commencées dès 1992.

Après la guerre, l'IIHS, durement éprouvé par l'occupation, n'avait plus les moyens de reconstituer sa succursale française et décida de l'abandonner. En effet, après le 5 mais 1945, la situation semblait catastrophique. Il n'y avait plus d'inventaires, plus de mobilier, plus de meubles d'archivage. La situation financière était également problématique depuis que la " Centrale " ne pouvait plus subvenir aux besoins de l'IIHS. On fit alors appel à l'Université d'Amsterdam, à la municipalité, on reçut des dons de la Wiedergutmachung et de la Ford Foundation. Il fallut à peu près dix ans à l'IIHS pour reprendre ses activités.

L'IIHS avait pour but initial de se mettre au service des militants et des chercheurs. C'est toujours le cas puisque ces derniers peuvent consulter près de 3000 fonds d'archives et plus d'un million de livres, ouvrages et périodiques, sans oublier les collections iconographique, audiovisuelle et sonore et en particulier des posters, photographies, bannières, cassettes audio et vidéo. On y trouve des archives provenant d'organisations mais également de particuliers de l'Europe entière, et ce, depuis la fin du XVIIIème siècle.

Parmi les collections non-européennes, signalons notamment celles sur les mouvements communistes de la Turquie, d'Iran, d'Egypte, du Soudan, de l'Asie du Sud, et celles sur le mouvement étudiant à Pékin de la fin des années 1980.